Faire revivre des souvenirs grâce au travail autobiographique

Récit

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Quand Florie m’a contacté pour me proposer une rencontre ; j’ai écouté à demi mot et ai volontiers accepté sa proposition, dans la mesure où l’ayant déjà rencontrée pour échanger sur sa démarche, j’avais apprécié son contact et son sérieux.

Un bistrot du vieux Lyon fut choisi pour cet entretien .

Je m’apprêtais à écouter « paresseusement » cette jeune femme pour éventuellement l’éclairer de mes « précieux » conseils quand me fut proposé comme exercice de lui raconter un épisode de ma vie. Episode qu’elle mettrait en forme afin de le restituer par écrit .

Je sortais donc de la fameuse « zone de confort » mais je me suis prêtée à cet exercice sans pression aucune et en totale confiance .

J’ai choisi de raconter un épisode de passation de mémoire de fin de cursus universitaire de psychologie ( qui à l’époque se poursuivait par 2 années de formation à l’institut ) Lequel mémoire avait comme président du jury un « ténor » de la discipline .

Avec un réel souci de l’autre , une attention au moindre détail et une totale bienveillance , Florie m’a permis de revivre 50 ans après, la légèreté éprouvée lors de la passation du dit mémoire .

Une jupe qui vole

C’est une souvenir joyeux et amusant que de me rappeler la fameuse passation de ma maîtrise de psychologie. Il symbolise la jeunesse, l’innocence, la liberté et une incroyable légèreté, signes d’une époque.

J’ai pourtant toujours détesté l’école. J’ai aimé certaines copines, mais j’ai détesté l’enseignement. J’avais plutôt des facilités et j’aimais travailler, mais uniquement ce que j’aimais… J’étais surtout très réfractaire à l’autorité : je n’aimais pas obéir. Ce qui m’a d’ailleurs valu deux renvois. J’étais perçue tel « le loup dans une bergerie » comme me l’avait rapporté mon père au retour d’une réunion parents-professeurs.

Une fois mon bac en poche, il était donc clair pour moi que j’arrêterais mes études le plus vite possible et que je n’entamerais pas de cycle long. Mon projet professionnel me le permettait, je voulais être éducatrice de jeunes enfants. J’ai su très tôt que les enfants seraient mon public. L’admiration qu’ils nous portent et les gratifications qu’ils proposent sont tellement évidentes et spontanées, à l’inverse de celles des adultes qu’il faut aller chercher beaucoup plus intensément. Leur monde m’a toujours beaucoup intéressé. Aujourd’hui encore, je suis rarement mal à l’aise dans un monde d’enfants, alors que je peux l’être parmi des adultes. Je ne m’ennuie quasi jamais avec eux, ce qui n’est pas toujours le cas avec certains adultes…

Mais l’environnement professionnel que m’a décrit la conseillère d’orientation était tellement déprimant, rempli de vieux éducateurs barbus, que j’ai finalement opté pour une autre voie, capitulant ainsi avec un cycle universitaire plus impliquant. Sans perdre de vue ma cible de prédilection, je me suis inscrite en faculté de droit dans l’idée de devenir juge pour enfants.

Je ne me suis pas du tout retrouvée dans leurs idées et dans leurs méthodes. Les étudiants en faisaient des caisses, animés par l’idée de rétablir l’ordre. Reflet d’une bourgeoisie que je connaissais bien, ils enfilaient des gants blancs pour aller attaquer la fac de psychologie située 100 m plus loin sur le quai Claude Bernard à Lyon. Les étudiants de la fac de psychologie, eux, m’amusaient bien plus. La tendance là-bas était à la refonte : il fallait tout casser pour tout reconstruire. Après 6 mois d’apprentissage juridique, et un court séjour en Écosse, me voilà inscrite en septembre en licence de psychologie.

Nous étions en 1968. Je sortais de 13 ans d’éducation bourgeoise et catholique un petit peu « contenue ». D’un coup, cette exubérance, cette remise en question de tout et de n’importe quoi me procurait une réelle joie de vivre. Je m’étais trompée de chemin. J’arrivais dans un monde libertaire où tout le monde râlait. Je n’avais qu’une envie, c’était d’adhérer aux protestations, mais j’étais complètement décalée. Je n’avais ni l’intelligence politique ni l’intelligence sociale pour comprendre ce qui se jouait. Alors je faisais comme si, et je râlais avec tout le monde, sans trop savoir pourquoi. Je profitais de l’effervescence, dans un contexte d’incompréhension totale, mais avec un sentiment de liberté incroyable.  

Jamais je n’aurais pensé avoir autant de plaisir à apprendre une fois ma voie trouvée. J’y suis allée de découverte en découverte. À l’époque, les concepts de psychologie étaient beaucoup plus barricadés que maintenant. L’homosexualité était encore une maladie, la mère était responsable de tous les maux… Mais nous étions en 68, et la remise en question touchait aussi la psychiatrie, qui avait le vent en poupe. Alors on cherchait, et ça me plaisait. J’ai adoré sortir des carcans théoriques pour essayer de comprendre les choses un peu autrement. Nous alternions stages et formation et les expériences sur le terrain me confrontaient à mon besoin de déconstruire ce que je connaissais de l’éducation.

Je découvrais un monde que je n’avais pas l’habitude de côtoyer. J’étais confrontée à des modes de survie dont je ne n’imaginais même pas l’existence et qui n’étaient pas les miens, ni ceux de mon entourage. Alors je suivais mes propres codes et je reproduisais instinctivement ce que j’avais toujours entendu. J’usais de « on ne fait pas n’importe quoi avec ses aliments » et de « va dans ta chambre » face à un petit garçon psychotique qui se balance sans cesse en se cognant la tête contre les murs. Je n’avais pas les bons mots. Pour autant, je me suis tout de suite sentie à ma place. J’étais étonnamment à l’aise, avec la sensation de comprendre leur désarroi, comme s’il n’y avait rien de si étrange que ça dans leur comportement. C’était une étrangeté familière.

Moi qui ne me souviens pas qu’un seul professeur m’ait intéressé pendant tout mon parcours scolaire, j’étais désormais entourée de gens intéressants et intéressés, qui essayaient de donner le maximum de ce qu’ils avaient. Parmi eux, Mr Jean GUILLAUMIN, professeur émérite de psychologie et de psychopathologie clinique à l’université de Lyon.

De tous mes enseignants, c’est certainement celui qui m’a le plus impressionné par sa brillance intellectuelle et par l’homme qu’il était. Je le trouvais brillant. Il faisait partie, à mes yeux, de ces gens qui étaient « au-delà », de ces grands intellectuels qui ont un truc en plus. Il avait quelque chose d’inaccessible.

Si je qualifie de « fameuse » ma passation de diplôme, c’est en grande partie de son fait. Il était mon président de jury. C’est donc devant lui que je devais soutenir mon mémoire et soumettre mes travaux. J’avais choisi de les porter sur la place de l’éducation dans les maisons de jeunes enfants, et la difficulté d’introduire de l’éducation dans la maladie. Il avait déjà évalué certaines de mes connaissances lors d’examens plus classiques au cours desquels mon nom était noyé parmi ceux de tous les étudiants de la promotion. Cette fois, il s’agissait d’un face-à-face officiel, lors duquel il approuverait, ou non, ma réflexion et mes recherches.

Mes copains de promo étaient plus excités que moi : « tu vas passer avec GUILLAUMIN ?! ». Sa renommée était telle au sein de la faculté, que sa nomination était presque aussi remarquée et attendue que la venue d’un prix Goncourt !

Nous étions en juin 1972. C’était l’été. Mes vacances étaient déjà planifiées. Tout allait bien. J’étais dans un état d’esprit d’étonnante sérénité et d’extrême légèreté. Tout comme la jupe que je portais pour l’occasion, elle aussi symbole de cet événement, moi qui n’ai porté que des pantalons toute ma vie.

Je ressentais cette légèreté dans tout mon être, portée par l’innocence de mes 23 ans, et certainement, par une forme de naïveté. Malgré l’enjeu que représentait cet examen dans la suite de mon parcours, je ne ressentais aucune appréhension. Je savais que l’exigence intellectuelle du jury me dépassait complètement. Pour autant, j’abordais l’exercice avec confiance. Je maîtrisais mon sujet, et je valorisais ce que j’avais à leur présenter. J’étais la seule à pouvoir le proposer.

J’avais en tête un « ce n’est pas si grave » qui me faisait relativiser et me permettait de garder une certaine distance émotionnelle à l’idée d’un tel exercice. Je relativisais. Après tout, j’avais la chance de ne pas avoir besoin de travailler immédiatement. Je savais que je serais psychologue quoi qu’il arrive. Et que si jamais ça n’arrivait pas aujourd’hui, je pourrais toujours profiter de l’après et du reste en attendant de me représenter. L’après, c’était un voyage en Tunisie, planifié depuis longtemps. Et le reste, les petits copains. Ma vie ne dépendait pas que de cela.

Je me suis donc présentée, toute légère et court vêtue, face au jury constitué de son président, et de ses groupies. Car s’il était estimé parmi les étudiants, il l’était également parmi ses paires. Les conditions de passation de ma soutenance n’en étaient que plus spécifiques : le binôme classique d’évaluateurs faisait désormais place à un aréopage de professeurs admiratifs. L’aura de Mr GUILLAUMIN était telle, que je ne me rappelle que vaguement ces acteurs de seconds rôles. Je revois Mr FUSTIER et Mme LATREILLE. Je les appréciais aussi, et étais contente de leur présence. Même s’ils n’étaient pas là pour moi. Car il était clair pour tout le monde que la vedette de cette soutenance, sans que cela me vexe, c’était lui et pas moi. Je trouvais cela normal et évident. Je le plaçais moi-même sur un piédestal.

Je m’assois, un peu intimidée, mais contente au-delà de toute expression. Plus qu’impressionnée, j’étais très flattée de sa présence. Je m’étais préparée à devoir défendre point par point tout ce que j’avais patiemment et avec grande difficulté essayer d’élaborer dans mon mémoire. Mais pas du tout à son premier commentaire. Je le réentends démarrer son analyse ainsi : « Vous avez fait là l’œuvre d’une artiste ». Ça commençait bien ! L’effet waouh me laissa bouche bée. Spectatrice d’un monde d’esprit et de pensées que je me croyais interdits, j’assistais dès lors avec délectation et grand plaisir aux échanges qui suivirent entre lui et les autres membres du jury sur un passage qui l’avait tout particulièrement intéressé. J’ai toujours été fascinée par les gens brillants. Surtout quand ils sont humains, humbles et qu’ils me trouvent un talent d’artiste ! C’était extraordinairement plaisant et je me régalais. Tout le monde semblait avoir oublié ma présence, quand Mr GUILLAUMIN s’est inquiété avec élégance et politesse de ne pas avoir trop dénaturé ma pensée. Redescendant de mon nuage, je lui réponds « Cher monsieur, vous n’avez fait que l’amplifier et la bonifier ».

Je me revois sortir, encore imprégnée de cette atmosphère intellectuelle privilégiée, et être quasi immédiatement assaillie par mes camarades, curieux de s’entendre raconter comment pouvait se dérouler une soutenance avec GUILLAUMIN. Mes mots étaient à la hauteur de ce moment suspendu « Le pied ». Je me rappelle une jupe qui vole et l’été sur mes jambes.

J’avais touché du doigt un univers que j’admirais, mais que je n’avais pas du tout envie de rejoindre. Je n’en suis donc pas ressortie avec un narcissisme gonflé. Du moins, je ne crois pas. Je ressentais une satisfaction importante, oui, mais pas de gratitude particulière. Ils ont aimé, ils ont aimé, tant mieux ! Tout simplement et sans que cela ne me paraisse inattendu. Comme si ça aussi, c’était naturel. Après tout, c’est lui qui avait le plus développé sa pensée. À travers ce que je proposais certes, mais c’est lui que nous avions écouté. Je ne me suis donc pas parée des plumes du paon. 

Je n’ai pas gardé contact. Je n’en avais ni l’envie ni les moyens. Comme si cette soutenance représentait une parenthèse, un espace-temps privilégié. J’étais juste contente. La légèreté perçue avant et pendant m’a accompagné pendant une quinzaine de jours, jusqu’à mon départ en Tunisie. L’après suivait son cours comme prévu…

J’en ai connu des réussites. J’en ai passé des examens, en étant parfois même morte de trouille. Mais jamais je ne me suis sentie aussi légère qu’après celui-ci. Morale de l’histoire : il faut passer les soutenances en été avec des jupes qui volent !!!

Propos de Christine G, recueillis et retranscris par Florie FONTERME

Plus tard , à la lecture de la restitution , j’ai éprouvé une grande satisfaction ; celle d’avoir été entendue au plus juste de ce que je ressentais .

Ayant transmis ce document à l’une de mes amies , elle m’a dit : « On croirait t’entendre parler ! »

Cette expérience toute neuve a été extrêmement riche et je peux témoigner ici qu’elle peut être source de plaisir , de réconfort , bref un beau moment d’humanité , dont je peux recommander le bénéfice .

Merci Florie !

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