Fais ce que dois, advienne que pourra

Récit

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Il y a quelques semaines, des trémolos dans la voix, son fils aîné me confirmait la bonne réception du manuscrit et sa première lecture.

«Nous avons tous été très touchés.»

L’histoire dans l’Histoire

Mon travail avec Colette a démarré le 17 janvier dernier à la demande de ses enfants.

«Ma mère a entrepris, il y a quelques années déjà, un récit autobiographique. Elle s’est attelée à la tâche à plusieurs reprises et a rédigé quelques feuillets, dont il est possible qu’elle ne sache plus très bien où elle les a rangés… Il me paraît qu’elle ne viendra pas à bout de son histoire sans une assistance extérieure, et une oreille attentive. À l’occasion de son prochain anniversaire (elle va fêter ses 95 ans), nous avons imaginé lui offrir ce service.»

En guise de feuillets, une dizaine de pages au style percutant et humoristique, dans lesquelles Colette raconte principalement son enfance, et pose le contexte de ce que je perçois être un des sujets phare de sa vie : la guerre.

Quel honneur d’avoir pour narratrice cette dame d’un tempérament assuré dont la vie a été marquée par ce que l’homme a fait de pire, et de découvrir une réalité jusqu’à alors principalement contée dans les livres.

Ma vie n’a rien d’exceptionnel

Sans surprise, Colette commence pourtant son récit en toute humilité :

«Ceci est mon histoire. Elle n’a rien d’exceptionnel. Je voudrais tout simplement vous permettre de mieux me connaître.»

J’ai eu l’occasion d’apprendre à la connaître, justement, au cours de 7 entretiens menés ensemble. Face à quelques propos répétitifs et certains flous liés aux enjeux de mémoire inhérents à son âge, j’ai dû m’adapter : des entretiens plus longs, pour capitaliser sur la dynamique des souvenirs enclenchée et sur l’énergie procurée par certaines images retrouvées – ou parfois plus court en fonction de son état de fatigue ; des phases de relecture plus courtes, séquencées, et parfois à haute voix, pour continuer à la captiver ; des séances de travail entrecoupées par l’entrée dans sa chambre de l’animatrice ou de l’infirmière…

« Vous êtes un intermédiaire de coeur »

Mais à chaque fois, son sourire était le même et sa joie d’avoir une présence et de pouvoir parler d’elle était bien là.

«Si vous savez le bien que vous me faites. Mes enfants devraient vous payer le double !»

J’entends encore ses éclats de rire lors de la lecture de son livre, une fois finalisé. C’est beau, de la voir rire de sa propre vie tout en me répétant « tout ça, c’est vrai ! ».

Ni elle ni moi n’avons envie que ça se termine. Colette réside dans un EHPAD et nous savons toutes les deux que le temps de chacun y est précieux, mais pas assez pour pouvoir s’accorder de vrais moments d’humanité.

«Notre travail m’a été extrêmement agréable. Je me suis sentie en grande confiance. J’y ai pris beaucoup de plaisir. J’ai eu l’impression de pouvoir me dire en amitié. C’est plus que de la sympathie. Vous êtes un intermédiaire de cœur.»

Une chaîne de générations

«Ma sœur, mon frère et moi-même vous remercions pour votre patient travail d’écoute auprès de ma mère, comme de la rédaction et de la mise en forme que vous avez effectuées à partir de ce recueil de souvenirs. Nous avons lu votre document avec beaucoup d’intérêt et non sans émotion, et sommes convaincus que cet exercice aura été enrichissant pour tous.»

Que connaissons-nous de nos parents si ce n’est les moments que l’on a partagé avec eux et les éléments de leur vie qu’ils ont jugé pertinent de nous raconter ?

Nous imaginons, bien sûr, que leur vie a été certainement aussi riche que la nôtre. Si ce n’est plus, compte tenu de toutes les évolutions qu’ils ont traversées. Mais certaines choses restent insoupçonnables.

«Je ne pensais pas que la guerre prenait cette place-là dans sa vie».

On ne se dit pas tout, et c’est bien normal. Pour autant, revenir sur certains événements de sa vie et pouvoir, ou oser, raconter la façon dont ils nous ont marqués, avec le recul du chemin parcouru, est, à tout moment, un moyen de continuer à avancer et à se réparer.

«J’avais commencé à écrire, mais c’est plus facile d’avoir un interlocuteur, l’échange est beaucoup plus fructueux. Ça a une grande valeur de pouvoir échanger. J’ai pu me confier plus facilement que toute seule sur le papier.

Le passé c’est le passé. Il ne vaut mieux pas recommencer ce que l’on a vécu. Mais ça fait du bien de pouvoir le déposer.

C’est important de raconter tout ça à mes enfants, pas tant parce que c’est ma vie, mais parce qu’elle s’inscrit dans une chaîne de générations. J’avais envie de leur raconter ce que j’ai vécu, les événements importants de ma vie. Je vous ai dit des choses que je n’aurais peut-être pas dites directement à mes enfants. Parce qu’eux ne se sentent pas forcément concernés, notamment pour tout ce qui concerne la guerre. Et tant mieux d’ailleurs !»

Chaque accompagnement donne lieu à une relation toute particulière, dans une forme d’intimité qui entremêle amitié, confession et émotion. Et parfois, des moments de vie se croisent. Colette a séjourné à de nombreuses reprises lors de vacances d’été à Saint-Georges-de-Didonne. J’ai eu l’occasion de passer quelques jours à Royan récemment, le village attenant. Et je n’ai pu m’empêcher, en foulant le sable de ces grandes plages, de m’imaginer dans la peau de Colette, 50 ans auparavant. La carte postale que je lui ai alors adressée avait le goût d’étés passés.

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