La biographie comme outil de soin

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Jeudi 20 avril dernier avait lieu le colloque de l’Art du vivant au sein du ministère de la Santé. Organisé par l’association Passeur de mots et d’histoires, en présence de Jean Kabuta, Walter Hesbeen, Delphine Horvilleur et Wadji Mouawad, cette journée avait pour objectif de parler et réfléchir ensemble de la démarche du récit de soi accompagné par un biographe dans une logique de soin.

Nommer, se nommer, c’est situer et se situer dans une histoire.

« Lorsque l’autre prononce mon nom, il me fait être. Il devient un miroir pour me permettre de voir qui je suis. Être en harmonie avec l’autre me permet de bénéficier de toutes ses forces positives. »

Jean KABUTA

Être biographe, c’est écrire des histoires qui reflètent le monde et qui rappellent à chacun sa noblesse et sa place légitime. C’est aussi relier les vivants entre eux et l’invisible. C’est veiller à la dignité de la personne. Le biographe est un passeur d’invisible.

On ne peut pas être digne seul. On est digne pour l’autre et à travers l’autre. Quand on se raconte, on utilise inconsciemment un JE beaucoup plus vaste que soi. J’ai une histoire, je suis une histoire.

À l’image du Kasàlà, la biographie est une parole vivifiante, percutante, silencieuse, qui dit l’essentiel. C’est un récit poétique, sur soi, proclamé devant la communauté (qui oblige donc à une certaine congruence). C’est l’art de la parole. L’art de la gratitude.

Se raconter, c’est aussi participer à sa propre création, et contribuer à devenir humain, et pour certains, devenir meilleur que la veille. C’est passer d’une esquisse de soi à une identité étoffée. Se raconter permet aussi de se souvenir de sa noblesse et de son pouvoir d’agir. Se raconter, c’est dire sa contribution au monde.

Chacun de nous est plus ou moins abîmé, porte des blessures à des degrés divers qui peuvent donner lieu à toutes sortes de traumas (divorce, maladie, guerre…). Ainsi naviguent des âmes fatiguées, en détresse, isolées par l’absence de liens.

« Il faut pouvoir s’arrêter pour que notre âme rejoigne notre corps. »

Proverbe africain

La lenteur laisse le temps à l’âme de rejoindre le corps. Il faut oser remettre en question, changer de disque, créer un autre discours intime.

La biographie c’est comme s’arrêter et créer des rituels pour se rassembler et se reconstituer. Ainsi, la biographie prend la forme d’un soin poétique et narratif.

Mettre en valeur la fin de vie, c’est honorer la vie plus que jamais.

« La mort ne se dit pas. La seule chose que l’on peut dire quand elle est là, c’est la vie. »

Delphine HORVILLEUR

 La dignité est à restaurer à tout moment de la vie.

La biographie hospitalière peut s’apparenter à l’image d’un sac à dos lourd que l’on peut déposer par la parole, accompagner par un tiers, pour s’alléger et retrouver une verticalité.

C’est difficile de raconter les gens tels qu’ils sont. Souvent, on parle d’eux comme de super héros en ne mentionnant que leurs qualités, leurs réussites et leurs réalisations. Parfois, on a même tendance à les raconter par leur fin plutôt que de raconter ce qui dans leur vie a été sans fin. On oublie tous les moments de leur vie qui les raconte. Or, conserver leur humanité c’est aussi rappeler tout ce qui a été leur humanité par leurs loupés. Dans l’expression des regrets, il y a la transmission de la vie. En biographie hospitalière, on ne parle pas de la maladie. On parle d’autre chose, on fait un pas de côté.

La biographie, et plus particulièrement l’autobiographie restaurative, c’est une invitation à assumer sa vie avec tout ce qu’elle est, à avoir le courage d’être soi et d’en être fier.

C’est illusoire de penser que l’on peut capter l’entièreté de l’autre. Nous avons été un, et plusieurs, et la biographie est un moyen de fermer le cercle en reliant toutes les parts de nous.

Écrire et se raconter dans un contexte de fin de vie permet de consoler ceux qui restent, de leur dire « regardez, je vais bien ». Mais c’est aussi dire à la mort : tu n’auras pas le dernier mot ! Pour beaucoup, la vraie mort ce n’est pas la mort, c’est l’oubli. Or à travers ses souvenirs, une personne ne meurt jamais.

La biographie apparaît alors comme une mise en dignité de la plainte. Elle lève l’interdit que le malade se donne de se plaindre par l’écoute. Dès lors, le malade est acteur de son soin. Il se soigne lui-même.

La biographie hospitalière, c’est laisser le malade trouver son propre soin par ce qu’il est.

Les biographes sont des soignants un peu à part.

Pour eux, l’acte médical passe par la parole et par la poésie. Ils cultivent l’art de la rencontre et de la réciprocité.

Ils prennent soin, en portant une attention particulière à une personne qui vit une situation qui lui est particulière. Ils permettent à la personne de se sentir exister en tant que sujet et réhabilitent ainsi sa parole.

« La biographie est un art soignant. C’est une médecine qui protège les étapes de vie existentielles. »

Walter Hesbeen

Dans l’intime d’un échange, la nature du récit est plus émotionnelle, plus sensible, en un sens : plus vraie. Une question invite alors à un voyage, et peut devenir la clef d’une porte intérieure.

La biographie est un chemin d’accompagnement, dans lequel le biographe s’efface pour soutenir l’autre. Ce dernier offre un regard décentré et la possibilité, pour qui veut dire, de s’exprimer pour dire quelque chose de soi.

La biographie est un lieu de rencontre, une danse de mots qui nous dit une histoire. Le biographe est un tisserand d’histoires, un berger de souvenirs, un architecte des mots.

« La biographie est un processus de tête-à-tête dans lequel le monde se reflète entre deux anonymes et leur conversation. »

Wadji Mouawad

En tant que professionnel de l’écoute, il navigue entre humanité et technicité. Ses savoir-faire du biographe sont nombreux. Il libère les souvenirs, respecte la parole, ouvre des fenêtres, offre des échappatoires, retisse des liens, écoute la souffrance, honore la personne et la vie en s’étonnant de tout.

Rencontrer la personne, être pleinement disponible pour elle, faire équipe ensemble… Il permet au narrateur d’inventer sa propre fable pour exister toujours. Il réenchante et réanime la vie.

« Plus j’avance, plus j’en conclus que j’ai été heureuse. »

Parole d’une biographiée

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