Le récit de la semaine : Jacques, 75 ans, raconte son parcours à ses petits-enfants.

Extrait

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Cette semaine, découvrez le récit de Jacques, 75 ans.

Ce sont ses petits-enfants qui m’ont sollicité : « Tu verras, il a eu mille et une vie ».

Leur demande : avoir une vision complète du parcours professionnel de leur grand-père. Ils en connaissaient la richesse, mais pas les détails. Jacques a tout de suite adhéré au projet. Pour lui, ce livre serait un moyen d’expliquer à ses proches comment l’impossible devient possible.

 » Je n’ai jamais aimé l’école. Je ne m’y sentais pas à ma place. Et surtout, je m’y ennuyais ! Rien de m’y intéressait. J’avais besoin de concret.

Quand je demandais aux instituteurs :  » Concrètement, ça sert à quoi tout ça ?  » La seule réponse que j’obtenais était  » Tu comprendras plus tard « .

La transposition concrète de leur pédagogie me paraissait inaccessible. J’avais l’impression qu’à cet instant précis de ma vie, ils ne m’apportaient rien qui ne me sert dans mon quotidien ni dans mon futur.

Pour lutter contre l’ennui, je me suis lancé dans le commerce de marchandises avec mes camarades. C’était un moyen pour moi de m’occuper et de me créer mon monde.

Dans les années 1950, filles et garçons n’étaient pas encore réunis.

Nos pupitres étaient conçus de façon que nous puissions ranger nos cahiers à l’intérieur des plateaux. Alors que tout le monde y rangeait ses fournitures scolaires, moi, j’y rangeais mon stock.

Je disposais de toute une collection. J’échangeais et je troquais toutes sortes de choses.

Les parents d’une de mes copines tenaient une pâtisserie et je m’y fournissais en gâteaux pour les troquer ensuite. Je récupérais aussi des phares et d’autres pièces automobiles à un voisin qui cassait des voitures pour les transformer en équipement de vélo.

Le concept fonctionnait et ma petite « entreprise » marchait bon train. Jusqu’au jour où mon ambition est devenue plus grande que mes moyens : je m’étais fixé comme défi de vendre un produit au directeur de l’école. »

Quand la grande Histoire impacte la petite…

 » En ville, les mentalités se débloquaient. Un tas de petites entreprises indépendantes apparaissaient et beaucoup se lançaient dans le commerce. Mais à la campagne, les initiatives restaient rares. Les esprits étaient freinés, encore marqués par la violence et les restrictions.

Rien ni personne ne peut enlever six années de guerre comme ça de la tête des gens.

Alors, imaginez, quand l’électricité est arrivée, que l’eau courante a remplacé les puits et que les toilettes et les douches ont ôté toute utilité à la grosse bassine qui nous servait de baignoire dans le fond du jardin !

J’ai été élevé à la campagne, avec ses codes et sa ruralité. Nous devions nous montrer forts et le travail semblait naturel.

Les adultes qui nouus entouraient faisaient simplement face à la dureté de la eur vie. Les générations de nos parents et des leurs avaient connu la guerre. Certains d’entre eux ont même été prisonniers dans les camps.

L’éducation qu’ils ont reçue et qu’ils nuos ont transmise portait forcément les stigmates de cette période si particulière. Travailleurs laborieux, ils n’exprimaient pas par des mots, mais par des actes.

Notre horizon n’était pas tracé, et donc d’une certaine façon, nous ne sentions pas le poids de l’angoisse sur notre tête.

Je ne savais pas vraiment de quoi mon avenir serait fait, mais j’avais l’impression que je risquais de m’enfermer dans ce mode de vie rural si je ne bougeais pas. Je ressentais le besoin de me confronter à une autre réalité, celle de la ville, pour accéder à un champ des possibles plus ouvert. »

Jacques est passé de la carrosserie à la bijouterie.

Pourquoi ? Pour quitter un monde abrupt dans lequel il s’était souvent senti snobé, et se retrouver dans quelque chose de plus adapté à ses sensibilités.

 » Très tôt donc, je ne me contentas pas de ce que j’avais.

Malgré mon parcours scolaire chaotique, la volonté de découvrir et de toujours en apprendre plus m’animait. Je débordais d’envie et de passion. Je prenais tout ce qui venait à moi pour assouvir ma curiosité.

Pas question de rester assis au café comme tous les autres garçons : il fallait que je bouge !

Je me suis débrouillé seul et j’ai construit mon parcours au gré des opportunités qui se présentaient à moi.

Un ami de mon père a suggéré que j’intègre une école d’orientation professionnelle qui offrait aux étudiants la possibilité de tester différents métiers : mécanique, électricité, dessin, bureau d’études…

Pour la première fois, je voyais enfin un horizon possible, et concret !

Après une année de découverte au sein de cett école, j’ai choisi de passer le concours pour intégrer l’école de bijouterie de Lyon.

Le côté atypique du métier m’a très vite attiré. D’abord parce qu’il était méconnu : nous n’étions que dix à passer le concours, et les patrons du secteur nous choisissaient avant même la fin de notre formation tellement la main-d’oeuvre qualifiée était rare. Et surtout parce qu’il me permettait de me différencier.

A 17 ans, j’intégrais l’univers des métiers d’art et mon orgueil était comblé. Nous, bijoutiers, nous représentions quelque chose !

L’excellence était de mise et je m’y contraignais sans effort. »

La valeur Travail a évolué avec le temps : un devoir pour nos grands-parents, un moyen pour nos parents, et une option pour les nouvelles générations.

Pour Jacques, le travail était bien plus que cela : une pluralité d’univers à découvrir !

 » J’avais 20 ans, j’étais marié depuis un an et papa depuis quelques mois.

J’ai obtenu un poste de contrôleur des pièces en métrologie, au sein d’une entreprise d’électroménager.

J’étais déboussolé.

Je n’avais jamais mis les pieds dans une usine. Je découvrais l’univers étranger de l’industrie et j’ai vite compris que les codes y différaient : ma blouse blanche de bijoutier était ici réservée aux ingénieurs, et la mienne, en tant qu’ouvrier, serait désormais grise !

Aucune équivalence n’existait entre les postes proposés et mon métier de bijoutier. Personne ne connaissait ce métier et personne n’avait idée des compétences que j’avais pu acquérir dans le milieu.

Très vite, j’ai compris que pour évoluer, je devais m’ouvrir à d’autres techniques.

Je me suis retrouvé dans un environnement à nouveau totalement inconnu.

En 1968, j’ai entamé une formation de montage et de câblage de constructions électriques au sein de l’Agence nationale pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA).

Cette double dynamique travail – études m’accompagnera tout au long de ma carrière et deviendra une de mes cartes de visite.

J’ai vite décelé la pluralité des disciplines que comptaient les métiers de l’électricité et j’ai rapidement décidé d’aller les explorer. »

Nos vies sont façonnées par un mélange de situations. Face au rythmé effréné de notre quotidien, il n’est pas toujours facile d’y tisser un fil rouge.

Et pourtant, de façon consciente ou inconsciente, l’ensemble de notre parcours se construit sur une base cohérente.

 » J’ai toujours eu beaucoup de difficultés à donner une image claire et cohérente de mon parcours.

Quand j’énumérais mes différentes expériences et tous les diplômes obtenus, très peu de personnes me croyaient.

Ma volonté d’étayer mon parcours par des métiers variés n’était pas comprise. Je renvoyais une image d’instabilité.

Moi j’estimais au contraire que chaque métier exercé représentait une somme d’éléments qui constituaient un ensemble.

Chaque connaissance me permettait d’appréhender un fonctionnement global. Chaque étéape et chaque expérience a enrichi les suivantes, sans qu’il y ait de ruptures.

Après une dizaine d’années à évoluer dans le monde de l’automatisation, j’ai eu envie de plus de contacts directs.

L’entrepreneuriat m’est apparu comme une évidence : je devais créer ma propre entreprise.

Fidèle à mon mode de fonctionnement, j’ai choisi de me lancer dans une formation de plusieurs mois.

Face à ma candidature, le formateur n’a pas pu s’empêcher de rire : « Je ne sais pas ce que vous allez apprendre avec nous, vous avez déjà tout fait ! »

Persuadé que rien n’est permanent sauf le changement, j’ai démarré dans le conseil en 1982. Je me positionnais sur le marché en tant que consultant – formateur – coach. »

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