Le récit de la semaine : « révéler : faire connaitre à quelqu’un, rendre public, ce qui était tenu secret. »

Extrait

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Cette semaine, je vous partage les extraits d’un récit de vie écrit dans une démarche d’autobiographie restaurative.

En se racontant, la narratrice a décidé de passer de l’ombre à la lumière. Un mouvement libérateur, qu’il n’est pas toujours facile à initier, et encore moins à continuer sur la durée. Mais à la fin, c’est plus qu’une page qui se tourne : c’est un nouveau récit qui commence !

 » Nous n’avons jamais manqué de rien.

Mais très tôt, je mène deux vies distinctes : celle de la liberté à l’école, et celle de la violence à la maison.

L’école est mon échappatoire. Je suis très studieuse et j’adore m’instruire.

Un brin rêveuse, j’arbore un sourire étincelant pour simuler une légèreté et masquer mon manque de confiance en moi.

Il me permet de donner le change.

Je ne sais pas vraiment évaluer notre situation, mais je comprends que ma vie n’est pas la même que celle des autres et que je n’ai pas une enfance comme tout le monde.

À la maison, c’est une réalité violente au quotidien.

L’incompatibilité caractérielle de mes parents donne lieu à des disputes permanentes auxquelles nous assistons sans en comprendre les raisons.

Les crises de nerfs de Papa sont courantes.

Plusieurs meubles portent d’ailleurs les stigmates de sa colère explosive.

Hormis le mobilier, personne ne subit de coups.

Mais la violence verbale nous assomme. Très tôt, j’entends les mots « pute » et « salope ».

Notre situation financière est catastrophique. Les huissiers viennent et appellent constamment.

Mes préoccupations ne sont pas celles d’une petite fille : « Si les huissiers continuent de venir, ça veut dire qu’on devra habiter dehors ? ». « 

La violence n’est pas toujours physique.

Elle apparaît, souvent accompagnée par un spectre d’angoisse, lorsque la confiance et la sécurité n’existent plus.

Manquements, insultes, pornographie, absences, désintérêt… ses formes sont variées et parfois insoupçonnées.

 » Papa ne participe pas à la vie de la famille ni aux moments de vie essentiels. Il ne suit pas notre parcours scolaire, ne se montre pas intéressé par nos notes, et ne nous demande jamais comment c’est passée notre journée.

Il s’enferme dans sa chambre et nous interdit d’y entrer.

À travers la porte vitrée, nous devinons des couleurs et des sons qui sortent de son ordinateur devant lequel il reste des heures.

Nous nous imaginons un univers sombre et un territoire de tous les dangers.

Animée par un réflexe de contradiction et d’exploration enfantines, je brave plusieurs fois l’interdit, et me retrouve confrontée très jeune à des images pornographiques.

Je ne sais pas encore ce que c’est, mais je comprends que la chambre recèle des secrets auxquels je ne devrais pas avoir accès.

Cela justifie certainement que Papa nous hurle autant dessus à chaque fois que nous tentons de franchir la porte.

Un après-midi, je profite de l’absence de mes parents pour fouiller la pièce.

J’y découvre, bien cachés sur l’étagère la plus haute, plusieurs exemplaires de magazines et ce qui ressemble à un long tube vibrant.

J’y vois des photos de femmes et d’hommes nus, entremêlés dans des positions bizarres. Les images que j’apercevais parfois sur l’écran d’ordinateur de Papa apparaissent désormais très nettement sous mes yeux. « 

L’imam me demande : « ce choix est-il vraiment le vôtre ? »

Oui. Même si je sais bien qu’en réalité, cette nouvelle religion est surtout un moyen pour moi de me sentir intégrée plus que le résultat de convictions.

« Mes années de collège et de lycée se déroulent bien, malgré un manque de confiance en moi qui continue à être notifié par mes professeurs.

Je ne m’entends toujours pas avec les filles et je trouve mieux ma place auprès des garçons.

Je m’entoure d’hommes, souvent plus âgés que moi. Les bad boys m’attirent. À leurs côtés, je me sens forte et rebelle.

Je deviens l’amie et la petite copine de ceux qui sortent de prison et fument de la drogue…

Mes fréquentations dérangent et je commence à être identifiée dans le quartier comme une fille facile. Pourtant je ne couche avec personne.

Le fait d’avoir été confrontée très tôt à des images pornographiques m’amène à sacraliser toute la sphère sexuelle.

Je rencontre Malik en 2012.

Bien que la religion musulmane me soit familière, j’en découvre les subtilités à ses côtés.

J’y porte de plus en plus d’intérêt, jusqu’à ce que ma vie ne tourne plus qu’autour de ça.

Quand je porte le voile pour la première fois, que je choisis noir, je me sens comme protégée, à l’abri du regard des hommes.

J’ai l’impression que ce foulard représente bien plus qu’un accessoire, et qu’il m’aide à avancer dans le bon chemin. Celui de la dévotion et du respect.

Je pris en arabe cinq fois par jour, je pratique le ramadan et j’envisage même d’accomplir le Hajj, le fameux pèlerinage à La Mecque.

J’officialise ma conversion le 27 février 2015. « 

La vie est souvent une histoire de rencontres.

Il y a les rencontres manquées, celles qui se présentent à nous au mauvais moment, celles qui nous sauvent ou encore celles qui nous plombent.

Aussi nombreuses soient-elles, la plus importante de toute, reste celle avec nous-mêmes.

 » Un peu naïve, je tape sur mon moteur de recherche « argent facile ».

Les deux principales réponses m’enthousiasment peu : prostitution ou bar à champagne.

J’écarte la première option sans même m’y attarder, et m’intéresse plutôt à la seconde.

Je découvre ces lieux au sein desquels des hôtesses ont pour mission de faire consommer le client, notamment du champagne.

Les tenues sont aguicheuses, les rapports sexuels non obligatoires, et la rémunération est indexée sur le nombre de bouteilles ou de verres consommés par le client.

Bien que l’univers de la nuit ne m’apparaisse pas comme compatible avec les principes de ma religion, je décide de postuler.

Je m’accorde avec ma conscience : juste le temps de récolter la somme dont j’ai besoin.

Je suis rappelée quasi instantanément. « Vous pouvez commencer demain. On ne vous déclarera pas, et vous serez payée à la semaine. »

Je tiens un mois dans ce schéma schizophrène. Je suis deux personnes différentes : celle de jour, qui continue à se tourner vers la religion, et celle de nuit, qui joue un double jeu.

J’ai réussi à récolter la somme dont j’avais besoin pour pouvoir m’inscrire en école. Une nouvelle vie se profile !

Autre ville, autres repères. Je ne supporte pas la solitude. Je me plonge dans la nourriture pour y trouver du réconfort et connais mes premières crises d’hyperphagie boulimique. « 

L’accompagnement touche à sa fin.

Ma narratrice est soulagée. Il devenait de plus en plus difficile de se replonger dans son passé.

« Je ne suis plus cette personne-là ».

Le signal de la fin est là.

Je ne sais jamais combien de temps va prendre l’écriture d’une autobiographie. Je précise toujours au narrateur que notre travail s’arrêtera quand ils auront la sensation d’avoir tout dit.

Son ancienne vie est désormais consignée, et elle sera la seule à pouvoir décider quand et comment elle en ouvrira les pages. En attendant, place à la légèreté et à la liberté !

 » Mon estime de moi s’améliore : Je suis forte. Je vais réussir à m’en sortir.Ma vie est belle désormais.

Le temps de ma reconstruction approche, je le sens.

Mais pour cela, il faut que je change certaines choses en profondeur.

Les dégâts psychologiques de ces dernières années sont considérables.

Je dois déconstruire les croyances dans lesquelles je me suis enfermée et qui deviennent limitantes, pour pouvoir développer une vision des choses plus saine.

Et les médicaments n’y feront rien.

Je suis hantée par des flashs, de la prostitution et des coups. Des images me reviennent sans cesse et me pourrissent la vie.

Je commence à tourner en rond en hospitalisation et j’ai envie d’essayer de nouvelles approches, plus concrètes.

Nous sommes en janvier 2020 et sans que je n’en ai réellement conscience, je m’apprête à tout réapprendre.

Le certificat médical qui vient d’être établi justifie tous les préjudices subis ces dernières années.

Tout y apparait : les coups, la prostitution, les rapports non consentis, les insultes, l’emprise psychologique, les douleurs chroniques, les cauchemars…

La lecture du document me fait l’effet d’un électrochoc : les mots couchés sur ce papier sont tous plus violents les uns que les autres.

Le 30 mars, un courrier du fichier des moeurs de la police de Genève m’informe que ma demande de radiation est acceptée :

Je n’existe plus en tant que prostituée. Tout est derrière moi. Un livre se ferme, et j’en entame un autre. « 

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