Mémoire et Transmission

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Le 5 avril dernier, l’émission phare de La Grande Librairie s’est intéressée aux questions de la mémoire et de la transmission. Compte rendu.

Si la question de l’identité juive est apparue en toile de fond, car en point commun entre tous les invités, les échanges se sont plus globalement intéressés aux enjeux de la transmission, et ce, quelle que soit notre histoire.

Comment et pourquoi partager à toutes les générations, avec force et simplicité, des histoires de non-dits, de secrets, d’amours infinis, d’absences, d’étranges coïncidences ?

Ci-après, des phrases et idées clefs partagées sur le plateau qui ont fortement résonné en moi, car très représentatives des questionnements que peuvent avoir certains de mes clients, et qui s’avèrent totalement en phase avec mon propre discours quant à l’importance de (se) raconter.

Devoir de mémoire ou impossibilité d’oubli

« Je suis un vieil enfant. À un certain âge, j’ai choisi de revisiter mon enfance. Pendant longtemps, je ne me suis aperçu de rien. C’est après que j’ai compris. C’est l’histoire des autres qui m’a fait rentrer dans mon histoire. Une histoire de honte peut évoluer, à partir du moment où l’on raconte, où l’on rend public. Il suffit alors de lire les livres et d’écouter ceux qui ont vécu. Mais on ne peut pas témoigner comme ça dans la rue. Pendant longtemps, les témoins ne pouvaient pas témoigner. Il leur a fallu témoigner face aux négationnistes pour faire exister leur vérité. »

« Il y a les histoires que l’on se raconte. Et que l’on nous raconte. J’ai entendu beaucoup d’histoires, et c’est ce qui m’a toujours nourri. Des histoires qui font rire, et d’autres qui font pleurer… »

« Moi, plutôt que de devoir de mémoire, je parle de l’impossibilité d’oubli. Dans ma pratique, je m’astreins à ne jamais écrire le même livre, mais à avoir toujours le même thème. Et ce thème, ce n’est pas un choix. C’est l’impossibilité de l’oubli. »

« Lorsque rien ne change, on peut se dire que ce que l’on raconte ne sert à rien. Mais c’est tout de même cela qui reste. La question n’est pas “il faut raconter, il faut transmettre”, c’est que l’on n’a rien d’autre à raconter. »

Jean-Claude GRUMBERG

« À l’expression “devoir de mémoire”, Simone VEIL lui préfère l’expression “devoir de transmission”. Car la transmission, c’est quelque chose qui est en marche, en mouvement. Tandis que la mémoire peut avoir quelque chose de figé. Simone VEIL nous dit qu’il faut que ça avance, que ce soit actif, qu’il faut aller voir les gens. »

« Ne pas se souvenir, c’est faire mourir les gens deux fois. Si nous tous, nous travaillons à l’idée de ce souvenir, c’est pour qu’il ne meurt pas totalement. »

« La construction d’un récit reprend le chemin de la mémoire, des souvenirs que l’on se recrée, et que l’on oublie. On se retrouve sans cesse entre différents souvenirs. Notre récit n’est pas incohérent, il est le reflet de la construction sinueuse et incertaine de la mémoire. »

Anne BEREST

La mémoire collective

« Je suis chargé d’une mémoire familiale et collective. »

« Il faut parler de tout aux enfants, mais il faut trouver une voix qui ne les tue pas, ne les étouffe pas, ne les accable pas. Et cette voix peut être le conte. Ils sont là pour être heureux, pas pour honorer la mémoire. Il faut alors trouver une sorte de justesse pour qu’en apprenant quelque chose d’innommable, il ait quand même une envie de vivre. Il faut créer une relation entre l’humanité et l’inhumanité pour que la vie continue. »

« Au bout de 80 ans, je me suis aperçu que j’étais un survivant. Cette histoire n’a pas de fin. Il y aura toujours des gens pour écrire. Le danger, dans cette profusion, c’est la banalisation. Il faut que chacun sache que ce qu’il fait, ce n’est pas de la littérature dans le sens “être le plus joli possible ou le plus captivant”. Non, c’est montrer du respect. Le danger ce n’est pas que les récits s’éteignent, mais la façon dont ils vont se multiplier et sous quelles formes ? Nous nous habituons à l’inhumanité, à des choses que l’on ne peut pas inventer. » 

Jean-Claude GRUMBERG

« Nous sommes tous unis par une mémoire commune, à la fois très précise, et malgré tout universelle, une mémoire qui appartient à l’être humain. Les livres touchent tout le monde lorsqu’ils racontent un endroit où l’humanité est mise en danger. »

« La littérature est parfois la flamme qui entretient la mémoire. Tant que l’œuvre est une œuvre de combat, de mission et de transmission, alors on est au bon endroit. »

Anne BEREST

« La mémoire peut être un poison. J’ai senti le poids d’une histoire qui n’est pas vraiment la mienne, mais dont je me retrouve l’héritier sans l’avoir vraiment vécu. J’ai voulu montrer qu’il était possible de respirer, de choisir la joie. »

« Les derniers témoins sont en train de partir. Il faut accepter que leur histoire fasse partie de la grande Histoire. Et que quand ils ne seront plus là, tout ça tombera dans la fiction. »

Michel HAZANAVICIUS

« La mémoire m’a été interdite pendant toute mon enfance puis mon adolescence. Il fallait que je la retrouve. Pas seulement celle qui m’était interdite, mais celle qui avait aussi été refusée à mes parents. »

« Pour que mes enfants se libèrent de cette histoire, il fallait que moi j’aille au bout de cette histoire. Ils n’ont pas à vivre avec cette histoire. La seule manière que j’ai de les libérer, c’est d’écrire ce texte. De leur expliquer d’où ils viennent pour qu’ils puissent s’en détacher. »

« La vie est devant, elle n’est pas dans ce que j’ai vécu. Mais les générations d’après ne pourront rien faire si on ne leur raconte pas. »

Marie DE LATTRE

« Je ne vis pas avec, parce que tous les jours, j’en parle. Je n’ai pas voulu raconter. J’estimais que j’avais eu la chance d’être rentrée, donc c’était fini, je ne parlais plus de cette période-là. Quand il n’y aura plus personne pour raconter, les négationnistes auront de nouveau le droit de parler. Ils sont prêts à bondir. On compte sur tous les enfants qui nous ont écoutés pour prendre notre défense. J’espère qu’ils ne croiseront pas quelqu’un qui aura des mots plus convaincants qui leur feront oublier les miens. »

Ginette KOLINKA

Des histoires de silence

« Pendant des années, on n’en a pas parlé. L’événement est tel qu’il est inconcevable. Simone VEIL l’expliquait par la peur de ne pas être crue. Et la sensation que personne ne voulait les entendre. Elle disait ‘même si je parle, on ne me croira pas’. Toute une génération s’est enfermée dans le silence en n’en parlant pas à leurs enfants. Quelle qu’ait été la guerre. C’est vrai pour toute la génération. Mais cette génération se voyant vieillir, elle se dit ‘je n’ai pas pu parler à mes enfants, mais je le ferais pour mes petits-enfants’. Aujourd’hui, la troisième génération émerge et prend la suite. »

Anne BEREST

« Quand on vit ça, tout nous semble ensuite être d’une banalité. Ce qui nous semble incroyable aujourd’hui était la norme à une époque. »

« Pour parler, il faut qu’il y ait des gens qui écoutent. Et qui écoute aujourd’hui les récits les plus horribles qui arrivent dans le monde ? C’est difficile d’accueillir ce degré d’horreur. »

Michel HAZANAVICIUS

« Le sentiment de honte est très fort pour nos parents. La génération d’au-dessus ne pouvait pas parler, et la génération d’en dessous a intégré cette forme de honte. »

« À 13 ans, mon père m’a fait assez confiance pour me raconter son histoire, tout en me demandant de me taire. Il m’a fait rentrer dans son secret. Et je l’ai trahi très vite pour comprendre. »

Marie DE LATTRE

Enquêtes autobiographiques

« Cette carte postale nous a tellement effrayées que je l’ai mise dans un tiroir. Pendant 15 ans, elle est sortie de ma mémoire. Et soudain, elle me revient. Et je deviens obsédée par ça. »

« J’écris une enquête sans savoir s’il va y avoir une fin. »

« La vraie vie a parfois plus d’imagination que notre esprit. »

« Ce livre raconte aussi la difficulté de composer avec cette identité. Il y a en réalité trois livres dans un même livre. Il y a une enquête, celle que j’ai menée et agrémentée d’un peu de fiction ; une saga familiale ; et une quête d’identité. »

« La mémoire charrie un certain nombre de fantômes dont on hérite. Les transmissions invisibles, c’est tout ce que vos ancêtres vous transmettent sans que vous ne le sachiez. Quiconque va construire son arbre généalogique va les rencontrer. Si vous travaillez sur votre arbre, vous guérissez les générations à venir, mais aussi les générations passées. Cette urgence que nous avons à écrire, c’est parce que, quelque part, nous devons rattraper ce qui n’a pas pu être écrit. »

« Il faut toujours écrire, rien n’a déjà été dit. »  

« On ne peut pas écrire des livres qui vont contenter nos parents, parce qu’écrire c’est se mettre en danger. »

« C’est important de nommer les morts pour qu’ils ne soient pas oubliés. Et écrire, c’est nommer les choses. »

Anne BEREST

« Je me sens appartenir à cette histoire, mais je ne pense pas qu’elle soit la mienne. »

« Je me suis fait la promesse, pour mon père, de retrouver cette mémoire à sa place. Même si c’était une histoire dont il ne voulait pas parler. Lorsqu’à son décès, ma mère m’a remis une grande enveloppe en kraft contenant toute la correspondance de mes grands-parents, j’ai simplement tâché de préserver ces écrits, puis je n’y ai plus touché pendant 10 ans. Mais quand je rentrais chez moi, c’était lourd. Je voulais en faire quelque chose sans savoir quoi. Jusqu’au jour où je n’en ai plus pu. Je suis alors allée chercher la part manquante de l’enfance de mon père. Et j’ai découvert beaucoup plus de choses sur l’histoire de mon père qu’il avait voulu en savoir lui-même. »

« J’écris du bout des lèvres et à voix basse. »

 « Je ne savais pas si j’avais envie que certains éléments apparaissent, mais forcément, il fallait qu’ils y soient, parce qu’ils disent tout. »

« J’avais l’impression d’avoir une histoire particulière, mais je me suis rendue compte qu’en fait, on a tous la même histoire. On a l’impression d’être seule, mais en fait non. »

Marie DE LATTRE

Etre biographe

« À l’âge de 25 ans, pour gagner ma vie, je suis devenue biographe pour des particuliers. Je recueillais le témoignage de personnes souvent âgées et puis j’écrivais leur vie. Aucun métier ne fut, pour moi, plus enrichissant que celui-là. J’ai appris à interroger les êtres, à tresser leur histoire dans la grande Histoire, à comprendre les lignes de force qui traversent les vies vécues. C’est un métier qui m’a aussi appris à écrire. Et si je vous raconte cela, c’est parce que les vacances approchent, petites ou grandes, et je vous invite à prendre un stylo, un carnet, un enregistreur, quelques feuilles de papier et à interroger autour de vous. Faites-le maintenant, parce que les choses s’envolent et qu’ensuite il est trop tard. Prenez ce temps, avant que le temps ne vous prenne.

Je me souviens de questions que j’adorais poser : qui a choisi votre prénom ? Était-ce celui d’un de vos ancêtres ? Quel était le métier de vos grands-parents ? Quelle était l’odeur de votre propre mère ? Avez-vous habité d’autres pays ? À quel moment de votre existence avez-vous été le plus heureux ? Est-ce que quelqu’un un jour vous a sauvé la vie ?

En écoutant les réponses, j’ai appris que chaque vie est romanesque pour celui qui a la curiosité de s’y plonger. Et je vous promets qu’un jour, ces mots que vous allez recueillir, entendre, écrire et retranscrire seront votre trésor, votre héritage, pour vous et pour longtemps ceux après vous. »

Anne BEREST

Replay de l’émission : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/la-grande-librairie-saison-15/4744966-emission-du-mercredi-5-avril-2023.html

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