De quoi se constitue notre identité ? Sommes-nous uniquement les enfants de nos parents ? Comment se construire indépendamment de ceux qui nous élèvent ? À partir de quand peut-on dire que l’on est vraiment soi ?
Ces questions, et de nombreuses autres m’ont accompagnée tout au long du travail de co-écriture mené avec Sophie.
Une histoire de famille
Quand Sophie me contacte, en décembre 2023, elle m’explique que sa démarche est motivée par la demande de sa maman, décédée un an et demi auparavant. Cette dernière souhaitait qu’elle laisse une trace de leur belle histoire.
Par où commencer ? Sophie ne sait pas vraiment quoi écrire. Elle démarre naturellement par l’histoire de ses parents. Celle de sa mère d’abord, celle de son père ensuite, puis celle de leur rencontre et enfin, celle de son adoption.
« Rien n’aurait dû matcher, mais la magie a opéré ».
Son destin était sans aucun doute lié au leur. Après avoir indirectement rencontré ses parents, j’ai eu envie de la connaître elle. Alors j’ai attendu que petit à petit, elle se dévoile. Sur qui elle était, sur ses choix, ses envies, ses questionnements, ses aspirations ?
Son caractère a fini par se dessiner et son histoire s’est révélée singulière. Bien sûr, elle a hérité de cet homme et de cette femme qui l’ont recueillie et élevée, comme de tous ceux qu’elle a croisé sur son chemin, mais elle a pris d’eux uniquement ce qu’elle souhaitait en conserver, tout en préservant sa liberté.
Au fil des chapitres, Sophie est devenue le personnage principal de son propre récit, prenant ainsi sa propre place dans une histoire de famille où certaines frontières étaient devenues floues.
« Chacun d’eux a eu une place, tellement opposée et tellement complémentaire en même temps. Le mot d’ordre dans la famille, c’était : “chut, n’en parle pas !”. J’étais le réceptacle de tous leurs secrets, que, par amour et respect, j’ai toujours conservé. Mais si je ne dis pas, qu’est-ce que j’en fais ? Je les ai mis dans ma boîte à souvenirs, j’en ai fait des pâtés de sable, que je libère maintenant. En racontant et en écrivant, je me prouve que je peux m’occuper de moi, sans trahir personne. »
Deux chemins parallèles
Pendant longtemps, Sophie et son histoire ont cheminé côte à côte. Comme deux rails d’un même train, alignés, mais distants, n’avançant pas toujours au même rythme, mais allant dans la même direction, sans jamais se rejoindre. Il n’y avait ni rejet ni conflit entre elles, juste une distance familière. Sophie observait sa propre vie depuis le bord du quai.
« J’étais spectatrice d’un récit que je connaissais bien, sans l’avoir jamais vraiment intégré. Puis, un jour, après le départ de mes parents, j’ai ressenti une forme inédite de liberté. Plus de rôles à jouer, plus de perfection à incarner, plus d’amour à mériter par la conformité. J’ai eu envie de me rencontrer. Vraiment. Entière. »
Au fil des entretiens, j’ai ouvert les chapitres, et Sophie les a remplis. Chacun d’eux a permis d’ouvrir une porte. Chaque chose, chaque choix, chaque silence, chaque erreur, chaque blessure, chaque personne a trouvé sa place, dans des cases qui étaient pourtant bien présentes, mais verrouillées, inaccessibles.
« Mon histoire n’est plus un double parallèle. Elle est en moi. Plus besoin de l’expliquer, de la justifier. Elle s’est ancrée dans mes fondations. Aujourd’hui, je me sens rassemblée. Mon patchwork est devenu un joli tableau ».
« Vous m’avez offert de rencontrer qui je suis. »
Sous l’impulsion maternelle, Sophie a finalement mis bout à bout ce qui appartenait à chacun, réhabilitant ainsi sa place et son propre chemin.
« Je ne suis plus “la petite fille de”, je suis Sophie. Avec mes erreurs, mes choix, mes silences et mes élans. Je suis réconciliée avec la femme, la mère, l’amie, l’adolescente et l’enfant que j’ai été. Le tout est moins tentaculaire, plus harmonieux ».
En revisitant son histoire, Sophie a mesuré ce qu’elle avait accompli. Elle qui se sentait freinée par de nombreuses peurs, a finalement réalisé qu’elle avait réussi à avancer sans heurt, a une vitesse incroyable.
« Notre travail m’a permis de voir tout ce que j’avais structuré. Et ce n’est pas si mal ! Tout est plus doux. Je me pardonne, j’accepte. Je vis pleinement qui je suis, qui j’ai été, qui j’aurais pu être… avec toute la sincérité du monde. »
Les bienfaits cités par Sophie sont nombreux : libération de la parole, autorisation à être, ouverture…
« Aujourd’hui, je respire. Profondément. Mon corps se transforme, s’allège, se réveille.
« Apaisement, bonheur, fraîcheur. »
« Je n’ai plus besoin de me remplir, je suis en train de perdre du poids !
« La petite fille que j’étais se réexprime, je lui fais une place. »
« Je me suis gentiment pris par la main. »
« Je ne me suis jamais donné le droit d’être vacillante. Désormais, je m’y autorise. »
« Je me suis dévoilée, j’ai donné une part de moi que jusqu’alors, je craignais qu’on utilise »
« Il n’y a plus de confusion entre l’histoire de mes parents et la mienne. »