L’autre côté du miroir : témoignage d’une autobiographie restaurative

Récit

Publiée le

Vingt kilos séparent la personne que j’ai vue pour la première fois sur mon écran d’ordinateur, et celle à qui je m’apprête à remettre son livre.

Vingt kilos, c’est le poids de vingt bouteilles d’eau, d’un léopard ou encore de deux pneus de voiture.

Mais dans le cas de Stéphanie, ces vingt kilos sont le poids de la honte et du dégoût.

Son parcours de vie l’a poussée à devenir quelqu’un d’autre. Et ce corps a été son outil de métamorphose. Caché, malmené, abusé… Il a encaissé ce que son esprit ne voulait pas accepter.

Alors quand elle a décidé de redevenir elle-même, c’est naturellement par le corps que certains changements se sont opérés.

Son processus de reconstruction a pris la forme d’une mue. D’abord, elle a retrouvé sa vraie couleur de cheveux. Puis son sourire. Et au fur et à mesure que son esprit aussi s’est déformaté pour lui donner toute sa vraie place, elle s’est allégée.

Un vrai travail de coécriture

Stéphanie avait déjà commencé à écrire. Une soixantaine de pages résumaient déjà son parcours au moment où nous avons démarré la coécriture. Mais elle n’arrivait plus à avancer. Coincée dans son statut de victime, il lui était difficile de prendre de la distance avec son vécu.

« Quand la coordinatrice qui me suis au sein de l’association VIVO m’a parlé d’une biographe, j’ai tout de suite voulu essayer, car je savais que j’avais vraiment besoin d’aide pour venir à bout de ce projet. J’étais très imprégnée de mon histoire, très angoissée. J’avais ce statut de victime et ce besoin de me faire connaître comme tel. Et une énorme envie de faire publier mon livre. »

Stéphanie

Alors, petit à petit, nous avons remonté le fil du temps pour préciser, expliciter, reformuler, et surtout, restaurer.

Restaurer sans retraumatiser

En tant que biographe, j’ai été particulièrement attentive à ne pas simplement faire répéter ma narratrice, mais à aller chercher ses émotions, ses ressentis, pour épaissir son récit de résistances et de réussites. À chaque entretien, je me suis mise dans une position de lectrice afin de la pousser à expliciter tout ce qui lui semblait évident, mais qu’une personne extérieure ne pourrait pas deviner.

« J’ai vécu cette coécriture comme une aide précieuse, notamment quand, sur la fin du processus, le travail devenait beaucoup plus difficile, car je n’avais plus l’envie de relire, plus l’envie de revivre mon histoire. C’est à ce moment-là que j’ai compris que ma restauration était sur une bonne voie. » 

Le processus de restauration s’est réellement enclenché au 7e entretien. Une forme de rupture est apparue entre son passé et son présent, entre ce qu’elle avait vécu et ce vers quoi elle voulait aller. Lors des derniers entretiens, les temps de relecture devenaient plus longs, moins incarnés. Ça y est, Stéphanie était passée à autre chose.

Revisiter son histoire à travers son regard présent, et celui d’un tiers, lui a permis de s’en détacher.

L’évolution du besoin du narrateur comme indicateur du processus restauratif

« Désormais, je me retrouve dans un statut de femme forte. J’ai envie d’être vue comme la femme à part entière que je suis aujourd’hui et non pas comme la victime que j’ai été. Je n’ai plus du tout envie de faire publier mon livre.« 

L’évolution du besoin de reconnaissance est un indicateur important dans le processus restauratif. Grâce à la double écoute restaurative, celle qu’elle s’est portée à elle-même et celle que je lui ai dédiée, le besoin de dire au monde s’est estompé. Le lectorat initialement imaginé s’est réduit pour se recentrer. Stéphanie s’est réapproprié son histoire.

« Cette expérience m’a permis de fermer définitivement un livre dur et triste et d’en ouvrir un nouveau tout neuf et plein de positivité. Mon statut a évolué. Il y a comme une mise à distance de mon histoire. Je me sens une femme normale. Je pense de moins en moins au passé. » 

Soigner sa relation à son histoire, c’est faire taire les histoires de problèmes et laisser la place à des histoires d’exception, qui petit à petit, deviendront des histoires préférées. Stéphanie a déjà commencé à les écrire, et dispose désormais de toutes les clefs pour les soutenir !

Qui sait, peut-être qu’un jour nous écrirons ensemble un tome 2 sur le « après » ?

Mes autres articles

Le vide identitaire n’existe pas.

Là où, dans bon nombre d’endroits, la perception de l’identité est perçue comme quelque chose de figé, qui ne change pas et qui n’a
Article

5 raisons de soigner la relation à votre histoire de vie

5 nouvelles raisons de prendre soin de votre histoire de vie ! 1. Pour cultiver la résilience D’après le psychiatre Bessel VAN DER KOLK,
Article

« Il faut que j’en parle parce qu’il faut que j’élimine ».

Un an d’entretiens mensuels a été nécessaire pour écrire son autobiographie. Aujourd’hui, elle se dit libérée et apaisée. Témoignage de Marie-Thérèse, 79 ans.
Récit