Le récit de la semaine : Frédéric, 50 ans, raconte pour se délester et ne plus se sentir pollué par son histoire.

Extrait

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A l’aube de ses 50 ans, Frédéric me sollicite dans une démarche restaurative.

Il ne savait pas par où commencer, mais son hypermnésie nous aidera à remonter le fil du temps, de la violence, et de la vie.

D’entretiens en entretiens, toujours plus d’insoupçonnable…

 » Les pompiers concluent que je suis tombé la tête la première.

Mes dents, enfoncées dans le goudron, en sont la preuve. Les radios confirment un traumatisme crânien, ainsi qu’une fracture de la mâchoire et de la hanche.

Cette dernière blessure retient d’ailleurs tout particulièrement l’attention des médecins, car on ne m’a pas retrouvé sur le lieu de l’impact, mais de l’autre côté du trottoir.

– Comment a-t-il pu traverser le parking avec une hanche fracturée ?

– Probablement en roulant ou en rampant.

Mon envie de fuir défiait même les lois de la physique.

Beaucoup de questions se posent sur mon intention d’origine à la suite de l’incident.

Tous soupçonnent la piste du suicide. Quelle idée !

Je voulais juste quitter cet univers de violence et cet environnement intrafamilial au sein duquel je me sens constamment rejeté.

Une seule chose m’animait, ce mercredi après-midi, alors que je suis puni pour la énième fois et forcé de rester enfermé dans ma chambre : comment m’enfuir ?

Il y a clairement un « avant » et un « après » chute.

Avant, c’était de la maltraitance ultime. Après, c’est devenu de la maltraitance psychologique. « 

Souvent dans une démarche autobiographique, La famille occupe une grande partie de notre récit de vie.

« Il ne faut pas oublier d’où l’on vient. Ou plutôt, il faut savoir d’où l’on vient pour pouvoir l’oublier. Je n’appartenais pas à une terre, mais à une histoire, dont je devrais connaître le début pour en écrire la fin.« 

Vanessa BAMBERGER, dans « Alto Braco »

« Je suis né à la demande de mon père. Ma mère, elle, ne veut pas d’enfant.

– D’accord, mais j’arrête de travailler.

Je suis donc le résultat d’une forme de chantage.

La maltraitance s’installe insidieusement avant même mon arrivée.

Elle joue son rôle de mère de façon théorique. Ses démonstrations d’affection semblent automatiques, contrôlées, et n’ont rien de spontané ou de naturel. Elle réalise tous ces gestes de façon mécanique.

Je ne me souviens pas avoir été cajolé ou caressé. Je me rappelle en revanche l’épingle noire à chignon avec laquelle elle nous cure les oreilles énergiquement.

La seule douceur que je lui associe, ce sont les moments de cuisine.

Elle cuisine extrêmement bien. Je peux passer des heures à la regarder faire, sans qu’aucune complicité ne s’installe entre nous. J’apprends d’ailleurs moi-même à cuisiner par mimétisme. Je suis assis dans un coin et je ne bouge pas. Je l’observe réaliser des gâteaux, des quiches et des bugnes.

Avec le recul, je pense que mon père a grandi dans un tel environnement de violence qu’il n’a pas voulu revivre de disputes.

Pour éviter tout conflit, il s’est accommodé de beaucoup de choses, et a certainement fini par se dissocier.

Lui n’a pas eu de maman. Alors de quoi se plaint-on ?

C’est déjà une chance de bénéficier d’une figure maternelle, peu importe son niveau de tendresse et d’affection. « 

Et parfois, des années plus tard, L’histoire s’écrit autrement, et une forme de normalité apparait.

 » À tout juste 18 ans, je suis mis dehors par ma mère et me retrouve SDF.

Il n’y a définitivement plus de place pour moi dans sa vie.

Je quitte la maison sans rien dire à personne. Après tout, n’ai-je pas toujours cherché la liberté ?

Je dors où je peux : sous les ponts ou dans les caves de mon ancien quartier où habite encore mon père. Je me débrouille pour aller manger chez des copains. Mais j’ai rarement accès aux douches.

Depuis que ma sœur est retournée vivre chez mon père, j’ai pris l’habitude, un peu par devoir, d’aller les voir tous les vendredis soir. Je reste dîner, pour parfois profiter de mon seul repas de la semaine.

Au bout de huit mois de vie dans la rue, mon père commence à se douter de quelque chose.

Il me voit habillé comme en été alors que nous sommes en plein hiver.

Un soir, après notre traditionnel dîner du vendredi, il me laisse partir comme si de rien n’était et me suit. Il découvre alors le squat que je me suis confectionné avec de simples cartons au pied d’une chaudière.

Rapidement, il se fournit un lit et nous voilà à nouveau réunis, ma sœur, mon père et moi.

Nous ne sommes plus des enfants. Il n’y a plus de violence. Ma mère a disparu de nos vies et une forme de normalité semble se profiler. « 

Sans surprise, nos vies ne sont qu’une succession de changements.

 » Devenir père est l’assurance d’un changement profond dans une vie.

L’arrivée de mon fils marque la fin d’une suite de transformations entreprises dès 2014.

La première de ces transformations concerne ma vie professionnelle.

Je veux me reconvertir, mais je ne sais pas dans quoi ? Nous extrapolons tout un tas de projets : ouvrir une boulangerie, puis une enseigne de restauration rapide sous contrat de franchise, ou encore créer un service de changement de pneus à domicile.

Chaque idée ou discussion se transforme en opportunité.

Je me concentre sur ce qui m’anime : m’occuper des autres et les accompagner.

La seconde transformation porte sur mon physique.

J’atteins désormais un stade d’obésité morbide. Mes 120 kilos m’handicapent au quotidien et ma santé commence à en pâtir : apnée du sommeil, hypertension, reflux gastriques, essoufflement…

Un professionnel de santé m’alerte :

– 42 ans pour mourir, ça vous va ?

Il m’aura fallu tout ce temps pour réaliser que je suis en train d’écourter ma vie, et enfin chercher une solution radicale.

Je passe d’une pizza et demie à une part, d’une taille 54 à un 40-42 et d’une pointure de pieds de 39 à 37. Je peux enfin acheter mes vêtements dans les mêmes magasins que tout le monde.

50 kilos en moins, c’est le poids de la normalité. « 

Avancer dans la vie, et devenir enfin soi.

 » Ma formation m’apprend à bouger mes lignes.

Dans ce genre de parcours, chacun arrive avec ses propres boulets.

Nous mettons en pratique tout le temps, aussi bien en tant que praticien qu’en tant que sujet. Je suis mon premier cobaye, physiquement et psychologiquement.

Je réalise ainsi que mes kilos sont surtout émotionnels, que je me cachais derrière eux pour me protéger, et que le rythme de vie que je menais jusqu’à maintenant a certainement accentué le phénomène.

Dans les 6 mois qui suivent, je perds 99 % de mon entourage.

J’ai l’impression d’évoluer d’un coup, qu’un autre niveau de conscience s’ouvre à moi. À chaque fois que je rentre à la maison, je suis une nouvelle personne.

Je fais enfin le lien entre mon comportement et tout ce que j’ai traversé. En quelques mois, je me libère et deviens quelqu’un d’autre. Je deviens pleinement moi.

La transformation s’opère et tout s’aligne.

Ce moi que j’assume désormais, je l’ai longtemps rejeté. Je suis même allé jusqu’à le cacher sous une centaine de kilos. Mais maintenant qu’il est là, je suis fier de le montrer.

J’ai frôlé la mort un paquet de fois, et pourtant, j’ai la chance d’être toujours là. Et cette chance, je décide maintenant de l’entretenir.

Peu importe nos origines et notre passé : tout reste possible. Tout est une question de choix. « 

Témoignage

 » Après plusieurs mois de travail avec Florie, je suis heureux d’avoir pu déposer mon histoire. Et encore plus heureux de lire comment Florie a su retranscrire mes émotions, mes sentiments, mes perceptions… Alors je n’ai qu’un seul mot à dire, c’est juste : Merci !

Merci Florie pour avoir su me raconter et m’aider thérapeutiquement à déposer mon histoire, qui maintenant, devient concrètement le passé… »

Frédéric FERRAND, 50 ans

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