Le récit de la semaine : M.C., 26 ans, écrit pour se libérer et témoigner.

Extrait

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Cette semaine, découvrez le récit de M.C., que j’accompagne dans le cadre d’une autobiographie restaurative.

Sa demande ? Ecrire et raconter pour pouvoir se libérer, avancer, et témoigner au sujet des violences intrafamiliales.

Chaque jour, plongez-vous dans le récit poignant de cette vie, et découvrez ce que personne ne soupçonne.

« Ce que j’ai vécu est un témoignage direct, basé sur des souvenirs, des douleurs et des craintes qui ne s’effaceront peut-être jamais.

Si nous devions commencer quelque part, la logique m’amène à vous parler de mon enfance et à revenir sur cette période d’innocence pendant laquelle l’enfant est censé évoluer, grandir, apprendre et découvrir la vie.

Ça, c’est l’enfance telle qu’on vous la décrit dans les livres, ou que vous l’avez certainement connue. La mienne, je n’en ai pas de bons souvenirs. Je n’en retiens quasiment que de la souffrance psychologique.

Ma mère et mon père se sont rencontrés relativement jeunes. Ils renvoient l’image d’un couple heureux, mais la violence verbale et physique s’installe rapidement.

À entendre ma mère, son désir d’enfant a toujours fait partie de ses projets de vie. Réelle volonté ou répétition inconsciente de son propre schéma maternel ? En tout cas, il y a un monde entre vouloir un enfant et savoir s’en occuper.

Loin d’être célébrée, mon arrivée a finalement des allures de drame. Son empressement à devenir mère égale son désengagement. Je suis très vite laissée de côté, comme un animal de compagnie qu’on laisse vaquer à sa vie domestique sans s’en soucier (quoique, certains animaux sont probablement plus choyés que je ne l’ai été).

J’attends, en silence dans mon berceau, que quelqu’un me considère. Je ne connais pas la chaleur des bras de mes parents et ne suis jamais stimulée. Suis-je au moins aimée ? »

Parmi les schémas de violence que je recueille, le transgénérationnel est malheureusement très courant. Raconter peut permettre de s’en libérer !

« À défaut de comprendre ce monde dans lequel j’évolue, je m’en crée un, imaginaire. Mon monde de paix ne compte aucun humain, ou du moins pas d’adultes, uniquement des animaux. Les professeurs disent de moi que je semble souvent dans la lune. En réalité, je me plonge constamment en autohypnose. Je me déconnecte de tout et deviens imperméable à tous les bruits extérieurs. Je laisse mon esprit vagabonder.

Il n’y a que dans ma tête que je m’autorise à vivre réellement.

Les années passent et ma mère ne me porte pas plus dans son cœur. La distance se creuse entre elle et moi, créant une sorte d’inconfort dans notre relation, quelque chose qui sonne faux.

Si mon enfance ne ressemble pas à toutes les autres, le traditionnel schéma transgénérationnel de la violence quant à, lui, ne m’épargne pas.

Ma mère n’a pas été aimée comme elle aurait pu et dû l’être. Elle ne faisait que reproduire ce qu’elle avait connu.

Comment pouvait-elle me porter de l’amour alors qu’elle-même n’en avait jamais reçu ?

Comment apprend-on à être mère quand la nôtre n’a jamais vraiment joué son rôle ?

Comment peut-on d’ailleurs aimer quelqu’un quand on ne s’aime pas suffisamment soi-même ? »

Le chapitre « La descente » explique comment le schéma de la violence se généralise : les premiers signes de la dépression à l’âge de 8 ans, le harcèlement scolaire…

« Mes premiers signes de dépression apparaissent vers l’âge de 8 ans. Je cherche déséspérément un sourire, un geste de tendresse, une main pleine d’amour, mais je ne trouve que du mépris, de la manipulation et du rejet.

Loin de représenter un refuge, l’école devient un lieu de supplice. Je me mets à l’écart et m’isole. Mes sens sont sans arrêt en alerte, comme si j’associais l’humain à une menace permanente, et que tous voulaient me faire du mal.

Bien sûr que les enfants de mon âge ne s’expliquent pas ce qui se joue. Et c’est certainement tant mieux, c’est qu’ils sont préservés de tels schémas. Mais face à l’incompréhensible et à la différence, leur seule réponse passe souvent par la moquerie, qui, insidieusement, s’est transformée en harcèlement.

On se moque de mon physique, de mon nom, de mes parents. Tout est prétexte à me harceler et à ne jamais me laisser tranquille. J’apprends à encaisser.

Quand la violence est omniprésente, vous finissez par croire que c’est peut-être une normalité.

Quand beaucoup d’enfants sortent de l’école, encore emplis de l’excitation de leur journée et de l’impatience de tout raconter à leurs parents, moi je pleure sur tout le chemin du retour.

Pour donner le change, je ravale ma tristesse et ma colère intérieure et m’efforce de paraître joyeuse. Pourtant, je n’arrive pas à sourire. La douleur se voit sur mon visage. Je refuse toute nourriture et ne trouve pas le sommeil. Mon cerveau bouillonne de pensées noires. »

Comment sortir de la morosité et de la dépression quand l’environnement dans lequel on évolue n’est que violence et rabaissement ?

En se faisant confiance et en écoutant sa voix intérieure.

 » J’imagine la relation normale mère-fille idéale. Faire les magasins, passer une journée au spa, manger au restaurant, partir en vacances, regarder des séries… Mes scénarios sont assez fusionnels. Je voudrais pouvoir confier un peu de ma vie à ma mère et qu’elle y porte un intérêt, qu’elle me cuisine des bons petits plats… Quand je vois les autres filles bras dessus bras dessous avec leur mère, je meurs de jalousie.

Les seules caresses que je connais, se sont celles déplacées et humiliantes des garçons du collège, qui n’hésitent pas à me toucher la poitrine et les fesses dès que l’occasion se présente.

Mon parcours scolaire n’est pas brillant. Je fais tout pour aller à l’encontre des envies de ma mère, qui rêverait d’une fille-élève modèle.

Ce qui m’anime, moi, c’est le dessin. J’étudie les oeuvres classiques seule pour préparer mon concours d’entrée en école d’art. Je le sens au fond de moi : je peux y arriver, mais à ma façon.

Nous sommes seulement 12 à être reçus, sur 40 candidatures, et j’en fais partie. Quelle satisfaction de réussir quelque chose par moi-même, sans l’aide de personne !

Je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie que dans cette école. Pas tant pour les personnes que j’y rencontre, mais pour la façon dont je découvre le monde sous un nouveau jour. Que c’est plaisant d’être confrontée à une normalité !

Je me découvre. Moi qui me suis dénigrée et ai été dénigrée pendant des années, je réalise que je suis bien plus intelligente que je ne le pensais. »

Mon travail avec M.C. n’est pas terminé. Une biographie complète nécessite en moyenne entre 10 et 12 entretiens, et seuls 4 ont été réalisés pour l’instant.

Assez pour qu’elle se sente déjà libérée, et pour vous donner un aperçu de ce que nos vies comptent d’insoupçonnable !

 » Avec tout ce que j’ai traversé, comment voulez-vous que je ne déteste pas l’être humain ?

Pour régler un problème, l’enfant peut normalement se référer à ses parents. Moi, j’ai toujours dû tout faire par moi-même. Mais l’être humain a toujours su se débrouiller seul depuis la nuit des temps.

Je me suis toujours dis : j’ai les bases, à moi de me faire mes propres armes. Sois je tombais dans la drogue et autres substituts toxiques, soit je sortais la tête de l’eau et je faisais ma propre vie.

Je n’aime pas la facilité. Alors j’ai choisi la 2ième voie. Celle qui me permettrait de survivre.

Dès que j’ai pu, je suis partie de la maison.

Je rencontre la personne idéale en novembre 2019. Ça ne me ressemble pas, mais je tombe amoureuse immédiatement. J’ai bien conscience que cela ne durera pas, j’ai l’habitude !

Mais les habitudes, ça se change.

Il m’accepte telle que je suis. Il sait ce que j’ai vécu, connaît mon passé et mes souffrances, et m’aime tout de même. Il me promet de me capturer et de m’emmener ailleurs.

« Je te prends sous le bras et tu pars avec moi ». J’ai trouvé mon prince charmant. « 

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